N’ergotons pas. Il y a un an que nous sommes confinés. Nous avons donc eu largement le temps d’expérimenter les différentes facettes de cette situation inédite, de comprendre comment les réactions de nos dirigeants face à la situation affectent profondément nos vies: une réduction drastique des contacts sociaux qui tient de la politique de la terre brûlée. Entre empathie, acceptation, compréhension, frustration… pour tout et pour tous, c’est probablement le traitement de la culture qui nous affecte le plus et qui chamboule le plus notre quotidien. Bien sûr, certains quotidiens sont plus bouleversés que d’autres, en particulier ceux des acteurs de la culture pour lesquels la situation confine au dramatique. Doit-on pour autant craindre des dégats irréparables pour notre culture, voire sa disparition?
De la définition qu’en donnait l’Unesco en août 1982, l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social qui englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances, il apparaît que la culture est bien plus que ce à quoi on pense de prime abord. Et objectivement, ce surplus n’est pas épargné par les conséquences des décisions gouvernementales. Tous les lieux de vie sont impactés. Les villes, les campagnes, les lieux de réunion où l’on refait le monde… Même les salons et les cuisines de nos amis nous sont interdits. Liège n’échappant pas à la règle.
La ville ne se vit plus de la même manière. Les travailleurs, invités à télétravailler, n’animent plus les journées du centre-ville. Et les quelques-uns dont la présence est essentielle n’ont plus d’endroits pour se retrouver à midi. Quant à faire leurs courses, faire la file sur le trottoir, surtout par temps froid et humide, masqués et embués, ce n’est guère emballant. Pour des raisons similaires, les citadins désertent aussi les rues du centre-ville. Les jeunes ne refont plus le monde en ville, les artistes et autres travaillaurs nomades ne peuvent plus travailler et créer dans les bistrots et autres lieux conviviaux. Les cellules commerciales se vident petit à petit de leurs commerçants exsangues. Les touristes, devenus parias, rasent les murs. Il ne faudrait pas qu’on les reconnaisse. Et puis, qu’y a-t-il à faire? Exit donc, le plaisir de les rencontrer et de leur expliquer les us et coutumes locaux. En fait, le coup le plus dur a été porté à la spontanéité. Café sur le pouce? Oublié! Visiter une exposition ou une galerie? Il faut s’organiser! Profiter et partager les plaisirs de la ville? Il n’y a plus personne. Des achats coup de cœur? Tout seul et rouf-rouf, cela manque de sel. Saluer quelqu’un? Encore faut-il le reconnaître, avant de lui adresser un sourire ou un clin d’oeil qu’il ne percevra sans doute pas…
La vie trouve toujours un chemin, nous dit Ian Malcolm, le mathématicien spécialiste du chaos. Les mésaventures de Jurassic Park lui ont donné raison, acceptons donc cette affirmation comme un message d’espoir. Depuis quelques temps, déjà, on assite à l’éclosion d’initiatives pour rendre la culture disponible en ligne, à tous les prix. On peut donc profiter, dans le respect des consignes sanitaires, de spectacles vivants, de littérature, d’images… mises à disposition par des institutions, par des créateurs plus ou moins connus et parfois même par son voisin. Si la bonhommie du Liégeois est sous l’éteignoir, elle n’attend pas grand chose pour s’exprimer à nouveau. Certains bistrots, cafés, restaurants… ont bien relu et appliqués les nouveaux protocoles. Petit à petit, les habitués s’y retrouvent.
Tout le monde piaffe. Dès que la bride sera lachée, nul doute que les bonnes habitudes reprendront leurs droits et que de nombreux lieux se ranimeront rapidement. Et la culture underground, revendiquée ou non, traditionnelle ou de circonstance, nous gratifiera probablement de travaux de quelques créateurs, patentés ou anonymes, qui auront trouvé dans les expériences vécues inspiration et énergie créatrices, voire thérapies ou remèdes .
Les lieux de culture ont beau être fermés, condamnant leurs animateurs à une mort lente et difficile, que tout le monde regrette, pour autant la culture n’est pas morte et ne mourra pas. Elle a été mise en hibernation et s’est calfeutrée dans des lieux clos. Elle n’attend qu’une chose, la libération des contacts humains, pour resurgir à la vue de tous. Elle aura sans doute un peu changé, elle affichera d’autres couleurs. Mieux? Moins bien? Nul ne peut le dire. Mais c’est l’affaire de tous.
Restons positifs. Consommons et produisons de la culture. Dès que c’est possible. Dans le respect des règles sanitaires. Même dans le secret de nos alcôves. Et préparons ainsi la future explosion culturelle qui aura lieu. Inévitablement.
Pierre-yves Debliquy (10.02.2021)