L’héritage
A l’époque d’une Belgique contemporaine naissante issue d’une série de révolutions dont celle de 1830 avait été le point d’orgue et à laquelle les liégeois avaient apporté leur part, avec les volontaires de Rogier, le nouvel état cherchant à assoir sa légitimé, tant dans, qu’à l’extérieur de nos frontières, s’appropriait l’histoire des provinces qui formaient le nouveau territoire, entériné par les puissances internationales à Londres, au traité des XXIV articles.
C’est ainsi qu’au lendemain de la Révolution, on vit apparaître un peu partout, les symboles et les statues des héros de ce qui en leur temps, pouvaient être considéré comme une ébauche de la Belgique, puisqu’elle fut attestée déjà par Jules César dans ses « Commentaires de la guerre des Gaules » publiés aux alentours de 55 Av. J.C., bien que très loin de ce que nous connaissons aujourd’hui.
C’est dans l’esprit de cette légitimité historique et politique qu’à la même époque on vit apparaître entre autres, les statues du chef éburon Ambiorix, à Tongres, Godefroid de Bouillon à Bruxelles et bien sûr Charlemagne à Liège, qui était certainement le symbole le plus puissant que nous ayons alors, car souverain international, qui légitimait un peu plus la dynastie de Léopold Ier et comme le dit Victor Hugo, laissa tomber un sceptre si lourd à sa mort, qu’il fallut près de mille ans pour le relever.
La statue équestre, évoquant les statues des empereurs romains, fut érigée en 1868, lors d’une cérémonie grandiose. Mais le monument, en dehors de la statue principale, comporte en fait six autres statues plus petites, représentant chacune un ancêtre fameux de l’empereur, comme s’il eut fallu assoir sa propre légitimité en remontant aux générations qui le précédèrent. Bien que les représentations tiennent plus de l’imaginaire wagnérien que de la recherche historique, cela permettait de faire remonter l’histoire belge au-delà de 1830.
Les origines
La famille de Charlemagne était une famille d’aristocrates, à l’époque des rois mérovingiens et dont Pépin de Herstal, arrière-grand-père de Charles, était Maire du Palais d’Austrasie. Ce qui correspond à une sorte de premier ministre et intendant du royaume, mais dont nous n’avons pas d’équivalent à notre époque. On retint surtout qu’il abandonna sa femme Plectrude pour sa maîtresse Alpaide et que de cet adultère résultat l’assassinat de Saint Lambert, vers 705, ce qui fut l’un des mythes fondateurs de la cité ardente. Une illustration de ces événements se trouve d’ailleurs immortalisée sur une toile se trouvant à la cathédrale Saint Paul.
Mais Alpaide donna surtout naissance à Charles Martel, homme d’état et chef de guerre redoutable, qui arrêta les invasions musulmanes, venues de la péninsule ibérique, à la bataille de Poitiers en 732, mettant un terme à cette expansion.
Charles Martel fût le père de Pépin III le bref. Bien que toujours Maire du Palais, les mérovingiens avaient perdu presque toute leur autorité sur les nobles et ne régnaient plus que par procuration. Conscient de sa force politique, Pépin fomenta un coup d’état. Réalisant
que certains barons pourraient encore lui faire opposition, il alla chercher l’aval de la seule autorité au monde qui pouvait légitimer son action, celle du Pape. En échange de la promesse d’être le bras armé de l’Eglise et de la défendre, le Pape Zacharie répondit aux émissaires francs qu’il valait mieux que le pouvoir appartienne à celui qui le détient qu’à celui qui porte le titre de Roi. Et donc en 751, Pépin déposa le dernier Mérovingien, Childéric III, qui fut tonsuré et enfermé pour toujours dans un monastère. Cependant, la société de l’époque étant théocratique, Pépin perpétua la cérémonie de l’onction sainte, née au sacre de Clovis et qui sera utilisée jusqu’à la fin de l’ancien régime, c’est à dire Louis XVI.
Charles
De l’union de Pépin et de Berthe au grand pied, car elle avait un pied plus grand que l’autre, naquirent deux fils. Charles et Carloman. Il est plus ou moins attesté que Charles naquit dans les années 740, dans une zone géographique réduite, mais comprenant Liège, Herstal et les alentours.
Une sérieuse rivalité opposait souvent les deux frères, qui comme le veut la tradition de l’époque, se partageraient le royaume de leur père à sa mort, sans ordre de primogéniture, ce qui arriva en 768. La répartition du territoire voulue par Pépin, qui correspondait plus ou moins à la France actuelle, donnait à Carloman un territoire très vaste, mais entouré dans sa majorité par un arc de cercle qui était le royaume donné à Charles. La rivalité des frères atteint son paroxysme lorsqu’ils décidèrent de se faire couronner Roi dans leurs capitales, le même jour. Mais en 771, Carloman mourut brutalement. On soupçonna Charles de l’avoir empoisonné, ce ne fut jamais prouvé. Cependant, il prit le royaume de Carloman sans tenir compte de la légitimité de ses neveux et les poussèrent à se réfugier en Lombardie, ennemis des francs. Mais personne ne sut exactement ce qu’il advint d’eux par après.
Pendant son règne qui fut très long, Charlemagne combattit les ennemis de la Foi énergiquement, par exemple les lombards, ennemis de Rome, qui par leur position stratégique, contrôlaient l’Italie et imposa le christianisme parfois de manière violente, notamment chez les frisons et les saxons. Il fit la guerre aux sarrasins et fit également plusieurs mariages politiques qui furent des échecs, sous l’impulsion de sa mère, comme celui avec Désirée, fille du Roi Didier de Lombardie qui se solda par la prise de Pavie en 774 et l’annexion du royaume. Il fit aussi nombres de réformes qui consolidèrent l’état et arriva à unir sous son autorité, un territoire aussi vaste que l’Empire romain.
L’empereur
En Europe, le pouvoir impérial avait été divisé en deux, entre Rome et Byzance au IVe siècle. Puis en 476, affaiblit par des siècles d’invasions, le dernier empereur de Rome, Romulus Augustule avait été déposé par Odoacre. Ceci ne laissant plus que comme autorité impériale, celle de Byzance. Mais là-bas, l’empereur était mort et sa femme Irène, qui avait crevé les yeux de son fils, avait usurpé le pouvoir. Cependant, dans la mentalité phallocrate de ce temps, elle ne pouvait être impératrice de faits et le pouvoir impérial était donc considéré comme vacant.
Dans ce contexte, à la mort du Pape Adrien en 795, les prélats romains élirent un pape sans autorité, qui n’était pas issu de l’aristocratie romaine, qu’ils voulaient fantoche et qui fut couronné sous le nom de Léon III. Très vite, il fut la victime d’une cabale, qui lui prêtait des mœurs légères, si bien qu’un attentat eut lieu en 799, lors d’une procession, dans laquelle il faillit perdre la vue. Échappant à ses assaillants, il se réfugia chez Charlemagne avec qui il passa de longs mois, car celui-ci était occupé ailleurs et réprimait aussi diverses tentatives de coups d’état, mais il finit par se rendre à Rome en décembre 800.
Charles arrêta rapidement les accusateurs du Pape et mena un procès énergique pour le défendre, appuyé par son armée campée aux abords de la ville, si bien qu’il n’y eut bientôt plus d’ennemis au Pape. Il sauva le Pape par une parade juridique, au motif que selon le droit canon, nul ne peut juger le Pape. Cette histoire réglée, ils entamèrent les cérémonies de Noël, qui dans le calendrier de l’époque marquait la nouvelle année.
Il semble que Charles ne fut pas au courant des intentions du Pape, mais alors qu’ils étaient en prière à Saint Pierre le 25 décembre, Léon déposa une couronne sur la tête de Charles et le sacra empereur d’autorité, tout en faisant acte de proskynèse, c’est-à-dire s’humilier en se jetant à ses pieds, ce qui ne fut pas bien perçu par certains, car cela impliquait la reconnaissance d’une supériorité du pouvoir temporel sur le pouvoir spirituel. Éginhard, ami et chroniqueur de Charles raconte même que ce dernier était furieux.
Toujours est-il que Charles fut fait : Charles le grand (en latin magnus), sérénissime Auguste, couronné par dieu, grand et pacifique empereur, qui est par miséricorde divine, roi des francs et des lombards.
C’est-à-dire que dans sa titulature, il se prétendait pacifique, ordonné par Dieu et héritier légitime d’Auguste, le premier Imperator de Rome, donc s’inscrivant dans la continuité du pouvoir impérial romain. Et Charles Magnus allait donner Charlemagne.
La venue d’un nouvel empereur en occident ne fut pas bien accueillie par Byzance, qui ne trouva jamais la force de l’ébranler.
Quant à Charles, il devint plus sédentaire, résidant surtout à Aix-La-Chapelle, pour ses thermes et passa la dernière période de sa vie à consolider son œuvre, à la quête de la connaissance et à favoriser l’instruction, sur les conseils d’Alcuin. Après environ quarante-cinq ans de règne, Charles mourut en 814 dans la ville allemande où l’on peut encore voir son trône, qui est aussi celui de ses successeurs germaniques.
Conséquences
L’empire revint au seul fils légitime survivant de Charles, Louis le Pieux qui le divisa ensuite entre ses trois fils, Lothaire, Charles le chauve et Louis le germanique, qui se livrèrent de nombreuses querelles. Cette division entre les trois petits-fils fut définitivement scellée en 843, au traité de Verdun, donnant naissance à ce qui serait plus tard la France et l’Allemagne.
De là émergerait au Xe siècle le Saint Empire Romain de la Nation Germanique, disparut dans la tourmente des guerres napoléoniennes, en 1806, soit près de mille ans plus tard.
D’ailleurs en 1804, Napoléon fut sacré empereur des Français à Notre Dame, mais il contrairement à ses prédécesseurs, et pour démontrer sa force politique, c’est le Pape Pie VII qui alla à Paris et non lui qui alla à Rome. Par ailleurs, il se couronna lui-même et couronna l’impératrice Joséphine. Cet empire disparut d’abord en 1814, puis définitivement en 1815, après la bataille de Waterloo.
En outre, en orient le pouvoir impérial perdura jusqu’à la chute de Constantinople, aujourd’hui Istanbul, en 1453, puis fut reprit par Ivan III, prince de Moscou qui épousa Sophie Paléologue, nièce du dernier empereur, Constantin XI, et s’appropria les emblèmes impériaux tel que l’aigle à deux têtes, que l’on retrouve encore sur le drapeau albanais. Ceci donnerait naissance à l’empire russe, lui-même détruit par les révolutions de 1917 et l’assassinat du Tsar Nicolas II et de toute sa famille, par les bolcheviks.
En France, après une série de changement de régimes, le neveu de Napoléon Ier, président de la IIe République, fit un coup d’état en 1848, en se proclamant empereur sous le nom de Napoléon III. Mais il ne se fit pas sacrer. Puis en 1870, après avoir réunifié les royaumes allemands et avoir vaincu l’armée française à Sedan, obligeant Napoléon III à abdiquer et sous l’impulsion de Bismarck, le Roi Guillaume de Prusse proclama le IIe Reich allemand, dans la galerie des glaces de Versailles. Ce deuxième Reich fut anéanti en 1918, à la fin de la première guerre mondiale, sous le règne de son petit-fils, Guillaume II, dont la fin fut définitivement achevée par le Traité de Versailles de 1919, conclu dans les mêmes galeries.
Ultime tentative de reconstitution, Hitler, dont la XXXIIIe Waffen SS Division, constituée de volontaires français, portait le nom de Division Charlemagne et qui défendit la Chancellerie du Reich lors des combats de Berlin, tenta de rétablir cet empire de mille ans, mais son IIIe Reich n’en dura que douze, avec la fin que l’on sait.
Conclusion
Quoi qu’il en soit, il est certain aujourd’hui que la famille de Charles est originaire de la région mosane et se mêle à son histoire. L’Empereur fait d’ailleurs partie avec Tchantchès, du théâtre de marionnettes liégeois. Il n’est donc pas étonnant que la Belgique du XIXe siècle, qui se cherchait une identité, une culture et une légitimité, avait tout intérêt à reprendre à son compte l’épopée carolingienne, dont les conséquences se font encore sentir aujourd’hui.